☕️ Journal : Ces hommes qui savent
En ce moment je lis Pourquoi le patriarcat ?, petit à petit. J’ai besoin de digérer, de revisiter des moments de ma vie où les propos de Carol Gilligan viennent résonner — ça arrive souvent.
Le patriarcat oppose les genres. Si les femmes s’occupent du care (prendre soin), les hommes ne s’occupent pas du care.
Je découvre ce que les hommes ont : le savoir. Si les hommes savent, alors les femmes ne savent pas.
Quand je me sens nul, fatigué, j’ai l’impression de ne pas savoir. Quand je “faisais mal” un truc, on me disait “mais pourquoi tu ne sais pas ?”. Quand j’exprime une surprise sur un détail de connaissance, un homme me répond “bah oui, (…)”. “Évidemment”. Ou enfant, en énonçant quelque chose qui me paraît censé, un adulte me répond “tu ne peux pas savoir, tu n’es qu’un enfant”. J’entends à nouveau ces “Comme vous le savez sûrement déjà”, ou les mains levées à l’école suivies des “moi je sais”.
Et je levais la main après. Je me posais 1000 questions avant de répondre. Je me perdais dans les méandres de mon imagination. Si je devais répondre, “je ne savais pas”, j’étais parti ailleurs. Rarement on a cherché à me comprendre. Et souvent on m’a forcé à m’aligner avec “les règles”.
Je vois maintenant ces hommes qui te coupent la parole parce qu’ils savent.
Je vois maintenant la compétition autour de la connaissance.
Je vois maintenant la souffrance créée, qu’on nomme parfois “syndrôme de l’imposteur”.
Je vois maintenant pourquoi j’ai tenté de me débattre dans ces règles, en les refusant et en m’y pliant en même temps — une tension qui crée de l’incertitude, du doute, et donc du non-savoir.
Je vois maintenant à quel point “savoir pour exister socialement” écrase l’autre qui cherche à être en lien avec moi.
Je m’en veux d’avoir cherché à avoir raison plutôt que de comprendre l’autre. Je m’en veux d’avoir participé à ce jeu. Je m’en veux d’y participer encore, et peut-être de ne pas savoir quand ça se joue.
Je suis sorti du mieux que je peux de la compétition, et les phrases de Carol Gilligan enfoncent un clou de plus dans le cercueil de ce que j’exècre.
(…) certaines filles apprennent à désapprendre ce qu’elles savent, et certains garçons à ne pas se soucier (not to care) de ce, celles et ceux dont, en vérité, ils et elles se soucient profondément.
(…)
Les filles se réduisent au silence, les hommes au détachement — elles ne savent pas, ils ne se sentent pas concernés (not caring) : c’est la condition nécessaire afin d’instaurer une hiérarchie qui exige deux formes de perte : l’empathie, en haut de la hiérarchie ; et l’affirmation de soi, en bas de la hiérarchie.
On me dirait surement “mais il faut bien savoir des choses, non ?”. Et bien sûr que savoir c’est sympa. Prendre en compte l’autre aussi, tout autant.