☕️ Journal : Lecture à voix haute

J’ai participé à un stage de lecture à voix haute. Ce qui suit sont des fragments écrits en fin de chaque journée. J’ai écris ce qui me venait pendant 10 minutes, puis relu et corrigé à voix haute avant de publier en ligne.

(…) je cesse de poser des questions, je deviens écolière.

§Jour 1

J’ai envie de m’enfermer dans une pièce et de dévorer tous ces livres qui m’ont touché. Dévorer, peut-être pas. Déguster. Déplier. Articuler. Tout prononcer. Énumérer chaque syllabe. Appuyer les mots. Élever le sens. Structurer le rythme. Dire molo le cerveau, laisse du temps à la bouche, laisse là dévoiler tous les mots.

J’ai appris à lire à l’école. Non. J’ai appris à suivre des consignes de lecture.
Aujourd’hui, j’ai appris à désosser des squelettes de mots allongés sur des pages, appris à les regrouper avec tempo, inciser, exercice d’élocution, en gardant une tenue de corps (le mien), en donnant du corps (les mots), avec retenue, plus lentement, parfois plus intensément.

Mes oreilles me disaient que c’est trop, trop fort.
Les autres me disaient qu’est-ce que tu dis, on entend surtout le dehors.

§Jour 2

Aujourd’hui, reconquête d’un (autre) territoire perdu à l’école républicaine : la poésie.

Réappropriation de ma voix. Je ne veux plus qu’elle se cache dans ma barbe, qu’elle retombe dans les dernières syllabes.

“Maison — poésie domestique” (Emanuel Campo), “histoires (presque) vraies” (Françoise Giroud), les éditions de la boucherie — des textes qui me ressemblent : on s’est regardé, on s’est reconnu, on s’est rencontré.

Les larmes sont montées quand ma voix a pris le relais de lecture sur “Mange”, d’Estelle Dumortier :

Tu manges tes morts
Tu manges tes enfants
Tu manges ta mémoire
Tu manges ton avenir

Toute la journée, dans ma tête résonne :

Tu ne me priveras pas de ma joie
Tu ne m’écraseras pas sous ton chagrin
Tu ne m’empêcheras pas d’aimer
Je vis, je ressens, je bifurque, je lis
Je te le dis, même si tu ne l’écoutes pas
ou que tu me maudis

§Jour 3

Je sens la fatigue. Les sujets mis au travail. Les histoires qui se mélangent : à mains nues, rupture(s), et puis Éléonore et puis Anna dans un podcast à soi.

Le troisième jour, en groupe, en journée, en soirée.
C’est beaucoup pour moi, sans soupape.

Je repense à ce SMS, celui qui dénonce ma fuite[1].
Le midi justement, j’écoute ma voix : prends la fuite. Manger seul, dorer au soleil, me désimbiber des mots qui m’ont traversé toute la matinée. La fatigue du groupe et l’agencement exceptionnel en “salle de classe” crée de l’interruption de parole, atténue la qualité d’écoute.

Mes lignes de fuite : des scènes de vie derrière les baies vitrées, rêvasser, m’emparer d’un livre et y descendre en apnée sonore.

Comme à l’école.
Une autre histoire qui remonte à la surface.
Une autre histoire que je connais.

Je me suis senti à ma place dans les ruptures de Claire Marin. Elle m’y replonge : ma gorge s’étrangle en extirpant la phrase évite les moments de joie avec eux. Plus tard, ils reviendront (…) te piétiner le cœur.

Des lignes de mots.
Des lignes de fuite.
Troisième jour.
Les histoires se confondent
de clarté.

§Jour 4

Retrouver ma voix. Ancrée dans les pieds. Fluide dans le rythme. Reliée aux personnes qui écoutent. Les lèvres lisent les mots sans maudire. C’est ce qui s’est produit en quatre jours.

Une traversée.
Une de plus.
La précédente, c’était du corps poétique au corps politique.

La prochaine, de traversée, je la connais : de Lyon à Montréal. Traverser l’hiver là bas. Traverser la fin d’année. Faire traverser les livres qui se sont logés dans le sac à dos — essais, récits, poésie. De la vie, de la vie, de la vie.

Penser à remercier Fabienne ; d’un atelier d’écriture sur l’enfermement est née une liberté, l’envol de ma voix.


  1. fuir, c’est aussi se “sauver” ? De ce qui blesse. Alors c’est quoi le problème ? ↩︎