☕️ Journal : Premier parloir

La gare de Marseille Saint-Charles et son parvis lumineux. Je reconnecte à cette première rencontre il y a quelques années.
Cette fois, c’est le point de départ pour atteindre le centre pénitentière des Baumettes.

Ça veut dire emprunter la ligne de métro 2 puis le bus 22. Fréquence de passage : toutes les 30 minutes. Ou alors le 22S, qui bifurque vers la fin pour esquiver les abords de la prison.

La densité de la ville s’égraine au fil des arrêts. Le mont de Luminy se dévoile. Le rectiligne mur de la prison et sa guérite se voient à distance dans la longue ligne droite du chemin de Morgiou.

Il y a encore des trottoirs là où le bus nous dépose — ce n’est pas encore le bout de la ville. Les collines dominent la vue ; la fin n’est pas loin.

On est deux à descendre. On se suit. Je suis le mur, l’entrée ne doit pas être très loin. Tout surprend : les indications sur les panneaux, le nombre de caméras de vidéosurveillance, l’identité des personnes sur ce même trottoir : passent-iels dans le coin ? Viennent-iels rendre visite ?

La guérite d’entrée est flanquée entre deux portes blindées. L’une est pour le personnel. L’autre pour les visites. S’il pleuvait, il faudrait attendre sous les trombes : pas d’abri.
Les vitres teintées de la guérite et l’absence d’indications terminent de poser le décors : t’es venu‧e, tu te débrouilles.

C’est ton premier parloir ?

Les autres personnes semblent bien organisées. De grands sacs étiquetés de manière lisible. On y devine vêtements et draps.

Une porte s’ouvre : une agente annonce les « familles » autorisées à rentrer. Des noms des personnes détenues.

En file, on présente nos papiers d’identité pour vérifier qu’elle correspond avec le permis. Une fiche bristol rejoint l’enveloppe à mon nom : toute visite fera l’objet d’une trace physique. Il n’y a aucune informatique alentours, juste une salle dépouillée et bardés de casiers. On y laissera nos affaires pour ne garder que nos vêtements, vidés de leurs effets.

Il fallait apporter son propre cadenas pour fermer les casiers. Je demande de l’aide à une autre visiteuse. De toutes façons, tout le monde entre en même temps, tout le monde ressortira en même temps.

Passé le scanner de détection de métaux et la porte rotative, on attend que la prochaine porte s’ouvre. Les agentes n’ont aucune autonomie : l’ouverture se fait forcément avec la validation d’une personne située de l’autre côté.

On est désormais entre le bâtiment d’accueil et l’aile du bâtiment recevant les visites. Filins et barbelés décorent les murs hissés droits. Le ciel ne flanche pas, il reste bleu et chaleureux.

Une nouvelle porte s’ouvre. Une nouvelle salle d’attente. Ça ressemble à une salle d’embarquement. Vide. Juste des sièges fixés au sol. Aucun objet. Aucune décoration. Aucune ouverture qui ne soit pas barrée de métal. Un comptoir permet de passer les sacs d’affaires pour une énième vérification.

Rien que d’être présent à cette endroit me fait me sentir coupable de quelque chose. Rien n’est fait pour accueillir. Pour rendre la vie facile. Aucune guidance. Aucune parole. Rien.

On est désormais appelé‧es, deux par deux. Direction les parloirs : des pièces étroites contenant une table, deux chaises et deux portes. Une pour les visiteur‧ices. Une pour les détenu‧es.

C’est marrant de se voir pour une première fois. D’avoir correspondu toute une année sans la moindre idée de nos tronches. Ça me rappelle l’époque des correspondances Caramail où nos trombines n’étaient même pas forcément visibles — faute d’appareil photo numérique. Les webcams étaient encore rares, la faute à des débits de connexion encore bien réduits.

On parle des correspondances, des choses qui sont plus faciles à dire qu’à écrire — dans ces paroles, la censure n’empêchera pas les mots d’être prononcés, de la situation dans la prison : la cantine d’Hyère est en arrêt. La nourriture viendra de Rungis. Les guardien‧nes sont en sous-effectifs ; heureusement que l’aile pour femme est à part, les mecs affamés rodent. Des combines pour cuisiner des gâteaux avec une plaque à induction ; seul luxe pour agrémenter les repas fades. De la difficulté à être soigné. De la bouffée d’oxygène que sont les tables d’écriture : des mots de l’extérieur, ça aide à garder une partie de sa tête. La folie guette.

Ça sert à quoi la prison déjà ?

Je n’ai aucune idée du temps qui passe. Sans montre, sans téléphone, sans horloge, ça sera forcément lorsque le gardien viendra toquer à la porte qu’on saura que l’heure est venue.

Une autre salle d’attente fera office de sas entre l’extérieur et le hall d’accueil, désormais hall de sortie.

L’odeur de la rue est à nouveau là.
Il me faudra bien le temps du trajet retour pour intégrer ce qui vient de se passer.