Qu'est-ce que l'écologie sociale ?
Description de l'ouvrage
52 citations et notes de lecture
§Préface
Il faut bien plutôt étudier les origines de la hiérarchie et de la domination si l’on veut porter remède au désastre écologique.
Je souligne l’adjectif social en matière écologique pour introduire un autre concept clef : aucun des principaux problèmes écologiques auxquels nous nous affrontons aujourd’hui ne pourra être résolu sans un changement social profond.
(…) tout ce courant de « l’écologie profonde » se présente comme une nouvelle spiritualité.
Comme dans les utopies de H.G. Wells, on nous demande de croire qu’il nous faut une nouvelle élite qui planifie la solution de la crise écologique.
L’humanité fait partie de la nature, même si elle diffère profondément de la vie non-humaine par la capacité qu’elle a de penser conceptuellement et de communiquer symboliquement.
C’est un changement de paradigme radical. Peu de choses dans notre société occidentale accepte cet état de fait, que ça soit dans la pensée et dans les faits. La croissance et la consommation n’en sont que des symptômes.
Compénétrant la crise sociale, une autre crise a surgi, directement liée à l’exploitation de la planète par l’homme. La société en place est non seulement confrontée à l’effondrement de ses institutions et de ses valeurs, mais encore à celui de son environnement naturel.
Gilets Jaunes, marches climatiques, même(s) combat(s).
Ce problème n’appartient pas en propre à notre époque. La sécheresse des étendues désertiques du Proche-Orient, berceau de l’agriculture et de l’urbanisme, témoigne d’une dilapidation humaine passée, mais cet exemple fait pâle figure en regard de la destruction massive de l’environnement accomplie depuis l’époque de la révolution industrielle, et surtout depuis la fin de la Seconde Guerre Mondiale.
Les connaissances et instruments matériels nécessaires pour promouvoir une nouvelle harmonie entre humanité et nature, et entre l’humain et l’humain, sont en grande partie à notre disposition ou facilement réalisables.
Je vois souvent le mot “facilement” revenir dans les solutions à mettre en œuvre. Mais quelle vision pour un monde plus frugal, où l’abondance ne dépend pas de produits transformés, nocifs pour notre santé ? Il n’y a pas de politique à mes yeux si elle ne prend pas soin de la nature par défaut.
Marx (…) [soulignait] que la révolution qu’exigeait notre époque devait puiser sa poésie non dans le passé, mais dans l’avenir, dans le potentiel d’humanité gisant dans les profondeurs de la vie sociale.
Le design-fiction est un excellent outil qui va dans ce sens, je trouve. Créer un imaginaire dans lequel nous souhaitons voyager dans la vie.
Ce potentiel, je le sens aussi dans mes tripes quand je me balade dans la vallée de la Drôme, dans la nature, chez ses habitant·es.
J’aime puiser l’énergie dans l’envie de développer un potentiel plutôt que dans l’attente ou dans l’espoir — hypothétiques et qui m’évoquent la peur.
Nous ne pouvons rejeter notre héritage scientifique, c’est-à-dire revenir à une technologie rudimentaire et à ses chaînes : l’insécurité matérielle, le labeur épuisant, la renonciation. Pas plus que nous ne pouvons nous laisser assujettir à celles du monde des machines, déshumanisé par la technologie : l’aliénation, la concurrence, et le brutal déni des possibilités humaines.
La poésie et l’imagination doivent s’intégrer à la science et à la technologie (…).
Face aux gigantesques bouleversements qui nous attendent, notre époque a besoin d’un corpus de savoir — scientifique et social — d’une envergure et d’une profondeur plus grandes, afin de résoudre les problèmes qui se posent à nous.
J’ai l’impression que les univers des Communs et du pair-à-pair œuvrent à ça.
Sans renoncer aux apports des théories scientifiques et sociales antérieures, il nous faut entreprendre une analyse critique plus complète de notre rapport au monde naturel.
Nous devons rechercher les fondements d’une approche plus reconstruite des sérieux problèmes posés par les apparentes « contradictions » entre nature et société.
L’harmonie environnementaliste est centrée sur le développement de nouvelles techniques de pillage de la nature, aptes à perturber le moins possible l’habitat humain. L’environnementaliste ne remet pas en cause le postulat fondamental de la société actuelle, à savoir que la nature doit être dominée par l’homme ; au contraire, il s’efforce de rendre cette idée plus aisément praticable, en développant des moyens qui diminuent les risques encourus du fait de la destruction effrénée de l’environnement.
(…) l’écologie sociale cherche à démêle les formes et les modèles de relations qui rendent intelligibles une communauté, qu’elle soit naturelle ou sociale.
Dans une très large mesure, l’histoire d’un phénomène constitue le phénomène lui-même. Nous sommes, réellement, tout ce qui a existé avant nous et nous pouvons devenir à notre tour infiniment plus que ce que nous sommes.
La capacité d’un écosystème à maintenir son intégrité ne dépend pas de l’uniformité du milieu, mais bien de sa diversité.
Je pense qu’on peine encore à comprendre le mot “diversité” quand la performance et la compétitivité visent une “universalité”. Composer au lieu d’imposer. L’acceptation au lieu de l’injonction.
Les agriculteurs ont à maintes reprises fait l’expérience de résultats désastreux dû à la (…) monoculture (…). Il est notoire qu’en l’absence de cultures croisées, lesquelles fournissent à la fois les éléments compensatoires et l’appui mutuel caractéristiques des mélanges de populations animales et végétales, la situation agricole d’une région se détériore.
Il y a 2 jeux de données qui m’intéressent à ce sujet :
- les zones d’épandage d’engrais et de pesticides (et les jonctions avec les cours d’eau et nappes phréatiques)
- les terrains agricoles et les capitaux qui les possèdent
Au mépris le plus total de la complexité de la nature et des subtiles nécessités de la vie animale et végétale, les conditions matérielles de l’agriculture sont grossièrement simplifiées (…).
Si l’on considère que la poussée de l’évolution a bien été dans le sens d’une diversité croissante, que la colonisation de la planète par la vie n’a été possible que comme effet de la variété biotique, un sage réexamen des prétentions humaines devrait nous inciter à la prudence lorsqu’il s’agit de bouleverser les processus naturels.
L’épisode 3 et l’épisode 4 de La Série Documentaire sont fascinants à ce sujet.
Ça m’évoque le fait que nous, êtres humains, sommes des descendants des bactéries accumulées sous forme calcaire au fond des océans, puis revenus à la surface des eaux. Des êtres vivants qui se sont façonnés sur des millions d’années.
Si l’unité dans la diversité est un des principes fondamentaux de l’écologie, l’inépuisable richesse de la flore et de la faune contenue dans un arpent de terre nous amène à un autre postulat écologique de base : la nécessité de laisser à la nature une grande marge de spontanéité.
Il faut donc laisser à la spontanéité de la nature une part considérable de jeu — afin qu’agissent les multiples forces biologiques qui donnent naissance à une situation écologique diversifiée.
“Travailler avec la nature” nous oblige à favoriser la variété biotique résultant du développement spontané des phénomènes naturels.
Les projets pourraient être évalués sur leur “empreinte naturelle” : un bonus fiscal s’il a un impact positif ou régénératif sur la nature ?
Ce que nous pouvons espérer de l’écologie, celle de la nature comme celle de la société, c’est qu’elle nous apprenne à découvrir les courants et à comprendre leurs mouvements.
Ce qui confère à la conception écologique son caractère extraordinairement libérateur (…), c’est sa remise en cause des notions classiques de hiérarchie.
C’est une chose que je retrouve dans des groupes où la discussion est focalisée sur “faire des choses plus naturellement” (élever des êtres vivants, le travail, la prise en compte des émotions). Je me sens léger et enrichi.
Ce qui me pèse, ce sont les conversations déséquilibrées, l’accaparement de la parole, la performance à qui a raison, etc.
Il existe déjà une littérature florissante qui montre à quel point le mutualisme symbiotique est un facteur important en faveur de la stabilité écologique et de l’évolution biologique.
Je suis fasciné par les présentations sur les bactéries et champignons de Marc-André Sélosse. Jusqu’à la fusion de génomes entre les plantes et les champignons dans la chlorophyle.
On constate, chez les animaux et chez les plantes, une adaptation permanente qui leur permet de s’apporter (…) une aide réciproque (que ce soit par l’échange de fonctions biochimiques mutuellement bénéfiques ou dans le cas toujours spectaculaire d’une assistance physique) ; une perspective entièrement nouvelle s’ouvre ainsi sur la nature des écosystèmes, sur leur stabilité et leur développement.
Plus une chaîne alimentaire est complexe et moins elle perd de sa stabilité lorsqu’une ou plusieurs espèces en sont retirées. D’où l’immense importance qu’il faut accorder à la complexité et à la diversité entre espèces à l’intérieur d’un système pris dans son ensemble.
§Transposer notre société dans la nature
Beaucoup de gens font preuve d’une touchante crédulité dans la manière qu’ils ont de considérer la nature comme une dimension de la société.
Les grondements de l’animal ne le rendent pas “méchant” ou “sauvage”, pas plus qu’il ne se “conduit mal” ou qu’il ne “mérite” une punition simplement parce qu’il ne réagit pas de façon appropriée à certains stimuli.
Ça me fait penser aux pleurs d’un bébé. Ils disent des choses.
En jugeant ainsi les phénomènes naturels d’un point de vue anthropomorphique, on dénie à la nature sa dimension propre.
Plus sinistre encore est l’emploi de concepts hiérarchiques pour conférer aux phénomènes naturels “ordre” et “intelligibilité”. Ce procédé a pour effet de renforcer les hiérarchies humaines en justifiant la domination des hommes et des femmes comme étant un trait inhérent à “l’ordre naturel”.
La supériorité de l’espèce humaine se voit transcrite dans le code génétique en tant que réalité biologique immuable — de même que la subordination des enfants aux adultes, des femmes aux hommes, des hommes à d’autres hommes.
La “reine” des abeilles ignore qu’elle est reine. L’activité fondamentale d’une ruche vise la reproduction, et la “division du travail” qu’on peut y voir, n’a aucun sens, s’agissant d’un vaste organe sexuel qui n’accomplit aucune fonction économique véritable. Une ruche sert à produire de nouvelles abeilles.
L’ouvrière…
L’analogie entre la ruche et la société, qui a paru irrésistible à tant de théoriciens, illustre de façon frappante à quel point nos vues sur la nature sont modelées par des intérêts sociaux qui nous sont propres.
Ce qui apparaît comme un harem, avec son “patriarche”, peut n’être qu’une configuration sexuelle aussi floue qu’une maison de tolérance, selon que telle ou telle femelle soit en rut, que des changements se soient produits dans le milieu, ou que le primate “patriarche” manifeste simplement son embarras devant la situation dans son ensemble.
Je ne me souviens plus où avoir entendu/lu que des études sur les singes males polygames avaient été pendant longtemps erronnées à cause d’un biais sexiste… car l’inverse se révélait vrai mais n’avait pas été sujet à l’attention des chercheurs hommes. Des femmes chercheuses avaient remarqué que les modalités de polygamie des femelles étaient différentes mais existantes.
Qui voudrait ressembler aux gibbons, paisibles, végétariens partageant leur nourriture chez qui les pères, lorsqu’il s’agit d’élever les enfants, y prennent une aussi grande part que les mères, et où chacun vit en petits groupes familiaux en dehors desquels on ne s’assemble guère ?
Existe-t-il des concepts capables de donner une signification commune, à la fois dans la nature et dans la société, à l’unité dans la diversité, à la spontanéité naturelle, aux rapports non-hiérarchiques ? (…) Et pourquoi ne pas introduire dans l’étude de la société d’autres notions écologiques (…) telles que la prédation et l’agression ?
La nature est une condition préalable au développement de la société (…) au même titre que le sont la technique, le travail, le langage et la conscience.
(…) Marx exprime en fait un dédain de la nature en lui attribuant la notion patriarcale de “passivité” féminine. Les affinités entre la nature et la société sont plus agissantes qu’on ne serait enclin à l’admettre.
(…) je dirais qu’il est possible d’élaborer un “matérialisme historique” du développement naturel, qui ferait d’une nature passive — “l’objet” du travail humain — une nature active, créatrice du travail humain. Le “métabolisme” du travail et de la nature fonctionne dans les deux sens (…)
Considérer un écosystème comme donné (…) est tout aussi antihistorique que de considérer une communauté humaine comme donnée.
Ce qui pourrait bien s’avérer l’épreuve la plus difficile à laquelle soit soumis le génie humain est de savoir quelle sorte de nature nous favoriserons : une nature richement organique et complexe ou une nature inorganique et désatreusement simplifiée.
Plus une technique d’alliance, médiatisée avec la coproductivité de la nature, sera possible, remplaçant la technique superficielle et isolée, plus sûrement les forces constituantes d’une nature gelée seront à nouveau libérées.
Les vidéos de Marc-André Sélosse ou de la microbiologie des sols des Bourguignon parlent d’elles-mêmes.
§Spontanéité et mouvements sociaux
Les grandes périodes historiques de transition nous montrent qu’il faut laisser les flots montants du changement social trouver spontanément leur niveau.
Les organisations d’avant-garde ont provoqué des catastrophes répétées chaque fois qu’elles ont cherché à forcer des changements que le peuple et les conditions du temps n’étaient pas en mesure de soutenir matériellement, idéologiquement ou moralement.
Ça m’évoque les gilets jaunes.
Les chefs dont les volontés supplantent les mouvements spontanés du peuple se révèlent en général les pires ennemis du changement social, et notamment de la révolution sociale.
Dans la nature, par contre, la spontanéité opère dans le cadre d’un ensemble plus restreint de conditions. Un écosystème parvient à son point culminant lorsqu’est atteint le plus haut degré de stabilité que permet le niveau donné de possibilités qui lui est propre.
(…) la démocratie, considérée comme l’apothéose de la liberté sociale, a été tellement dénaturée, comme le souligne Benjamin R. Barber, qu’elle a abouti au “remplacement progressif de la participation par la représentation. Alors que la démocratie dans sa forme classique signifiait assez littéralement gouvernement du demos, des gens eux-mêmes, elle semble souvent n’être plus guère qu’un gouvernement de l’élite sanctionné (…) par le peuple. Des élites concurrentes se disputent le soutien d’un public dont la souveraineté populaire est réduite au pitoyable droit de choisir le tyrant qui les gouvernera”.
Notre pensée elle-même est un processus naturel, tout en étant profondément conditionnée par la société et finalement modelée par l’évolution sociale.
§Conclusions
En multipliant les points de contact avec la nature, sera-t-il possible de parvenir à un nouvel équilibre, moyennant le délicat ajustement de nos pratiques agricoles, de nos zones urbaines et de nos technologies aux conditions naturelles d’une région et de ses écosystèmes ?
Peut-on espérer “gérer” l’environnement naturel par une rigoureuse décentralisation de l’agriculture, qui permettrait de cultiver la terre comme s’il s’agissait d’un jardin dont une faune et une flore diversifiées maintiendraient l’équilibre ? (…) vers un nouvel équilibre entre ville et campagne ?
Les chaines alimentaires du sol et de la surface terrestre sont soumises à une cruelle agression due à la sotte application de techniques industrielles dans l’agriculture ; en conséquence de quoi le sol (…) est réduit au rôle d’éponge absorbant les substances chimiques “nutritives” simples.
La monoculture pratiquée sur de vastes étendues de terres fait disparaitre la variété naturelle, agricole, voire géographique.
La division nationale du travail, uniformisée selon les critères de la grande industrie, efface les variations régionales et locales, transformant des continents entiers en d’immenses usines fumantes et les villes en des supermarchés où tout n’est que tape-à-l’œil et matières plastiques.
Mais nous ne pouvons nous défaire de nos liens si nous ne les connaissons pas. (…) L’Histoire domine chacun de nous d’autant plus fermement que nous restons dans l’ignorance à son sujet.
De nos jours, ces deux héritages s’enchevêtrent et corrompent les modèles clairs qui existaient dans le passé, au point que le langage de la liberté devient interchangeable avec celui de la domination.
Un ami me disait que les mots devenaient teintés et étaient accaparés par les forces publicitaires et marketing, transformant leur sens en une puissance de conviction, obligeant sans cesse à aller trouver d’autres mots qui sont encore naturels et sauvages.