Quand faut-il s'arrêter de tweeter ?
Je pense que la première chose que j’ai vu en débarquant dans le quartier de Time Square à New York, c’était une pub géante pour Twitter. Dans le métro de Montréal, c’était un argument fonctionnel pour des téléphones mobiles : il est compatible Twitter et Facebook. De quoi laisser divaguer son esprit sur la diffusion grand public de l’outil − qui est toute relative, seuls 4% des internautes américains l’utiliseraient vraiment. Bon, ça fait quand même 6 millions d’utilisateurs.
En France, on ne sait pas trop en fin de compte. L’IFOP parlait de 2% des internautes français (~ 760 000 utilisateurs) mais j’ai vraiment peine à croire que le nombre soit aussi élevé. En 2009 ce service était considéré comme nouveau dans notre contrée. En 2010 on se pose encore les mêmes questions : faut-il utiliser Twitter ? À quoi ça sert ?
§Condamné à Twitter
En décembre dernier, j’étais interpelé par la condamnation d’un joueur américain de basket-ball à payer 7 500$ d’amende pour avoir tweeté un peu trop rapidement sa joie. Il s’ensuivit une interdiction aux joueurs de diffuser des informations sur Twitter avant la fin des conférences de presse post-match, entre autre.
Un bon moyen de verrouiller la diffusion de l’information et de laisser la communication aux communicants.
Récemment, en France cette fois-ci, c’est Sébastien Chabal qui a grillé le service presse du XV de France de rugby et provoqué une situation similaire, à l’amende près.
Autrement dit, si les joueurs sont les vitrines de marque des clubs, faudrait pas qu’ils parlent.
§Twitter − le court-circuit de l’information
Sur le fond, on peut comprendre les réactions des dirigeants : de nouveaux canaux de communication se sont adjoints aux canaux traditionnels. Ils ne sont pas régulés et causent du tort à la diffusion classique et contrôlée de l’information. Les journalistes ont normalement la formulation et le recul nécessaire qu’un « simple » sportif n’aurait pas. Le tort viendrait de plusieurs points :
- un non-communicant court-circuite le travail d’un communicant
- l’information peut-être trop brute et sujette à mauvaise interprétation de la part du public
- le timing de diffusion de l’information peut ébranler des fondations pas (encore) préparées à encaisser le choc
Bien que véridique, l’information doit-elle être diffusée ? Si on arrête la réflexion ici, Twitter e**erde le monde et oui, il faudrait se contenir.
§Twitter − le dérégulateur de l’information
Pourtant avec le recul, j’étais bien content de suivre les troubles de l’élection présidentielle en Iran en 2009 via Twitter. Il aura fallu attendre 2 jours de plus pour obtenir une information cohérente en provenance des médias traditionnels. Les iraniens auraient-ils dû pour autant attendre sagement que les journalistes veuillent bien considérer leur sort avant de prendre la parole ?
Twitter a également servi de fort relais de transmission d’information pendant la houleuse procédure de vote pour l’adoption d’Hadopi, Hadopi, Lopsi et maintenant ACTA. Je pense que je n’ai jamais eu d’information aussi qualifiée que par ce biais − le tri de l’information se faisant naturellement par les utilisateurs du service.
Devait-on pour autant attendre de l’information uniquement par le biais des canaux traditionnels ?
§Quand faut-il arrêter de tweeter ?
Les contextes sont différents : un coup Twitter cannibalise les relais d’informations traditionnels ; un coup il vient en complément, pour mettre en lumière des informations qu’on n’aurait pas forcément eu autrement. Est-il plus juste de tweeter dans un cas et pas dans l’autre ?
Qu’adviendrait-il si un journaliste tweetait pendant une conférence de presse ? Lui demanderait-on d’arrêter et de se conformer aux mêmes contraintes que les autres ? D’attendre que le papier soit sorti ? Twitter a l’apanage du temps réel : être une source d’information et tweeter APRÈS une source d’information traditionnelle (radio, presse, télévision) aurait-il encore un sens, à part concilier les différentes parties entre elles ?
Si le temps réel prive du recul, il a l’avantage de favoriser la diffusion de l’information.
La réponse n’est plus si évidente que ça.
Ça me refait penser à la conférence « réseaux sociaux sur le Web : vers une nouvelle communication » organisée en visioconférence par le Musée des arts et métiers de Paris pas plus tard que la semaine dernière. Jean-Pierre Beaudouin évoquait le changement d’équilibres mais aussi et surtout, le syndrome Lilliput. Gulliver est ligoté à l’horizontale par une armada de petits lilliputiens. Il ne parvient à se redresser et faire face à l’adversité qu’en acceptant l’existence de ces êtres et en les guidant plutôt que les subissant.
Pourquoi arrêter de tweeter alors qu’il ne s’agit probablement que d’un problème de maturité d’usage, tant par les utilisateurs que les marques/entités subissant cette dérégulation de l’information ? Le débat reste ouvert et riche d’enseignements.