☕️ Journal : Souviens-toi… l'été dernier

Mon grand-père va mourir, c’est sûr. C’est pour ça que je me rends à Toulouse. Pour le voir, et pour te voir. Passer du temps avec les vivants.

Il est 19h, on s’est donné rendez-vous au Wild Rose. J’ai commandé une bière corse à la cerise. Je la sirote en attendant, posé près de la baie vitrée qui donne sur la rue.

J’aperçois ton short et tes chaussures Fago. Tu salues cet ami avec légèreté. Vous aviez fait un bout de chemin ensemble, par hasard. Nos regards se retrouvent, c’est la joie. Ça faisait longtemps ! Beaucoup trop longtemps. Fichus confinements.

Tu me racontes le rythme de ta vie en période de Covid. Ça m’aide à mesurer l’enfermement que cette période a produit en milieu urbain. Je m’en veux de ne pas avoir senti ça de loin, de ne pas avoir pris de tes nouvelles.

On se parle de nos amitiés, nouvelles et anciennes, des liens qui se tendent et de détendent, des chemins de vie qui s’éloignent et se rejoignent. On cause co-écoute, engagement militant dans un monde dans lequel on ne croit plus vraiment depuis qu’on est enfant.

Ça fait du bien, de se retrouver, au même endroit, dans les mots, dans les idées. On ne se comprend pas toujours. On accepte ces différences. Ça ne remet pas en cause cette confiance qu’on éprouve l’un envers l’autre.

L’éclairage urbain est allumé depuis quelques temps déjà. On commence à avoir des fourmis dans les jambes. On marche tout doucement, en rythme avec la brise nocturne. On s’arrête une première au Petit London — souvenir de cuite. La cuisine est fermée. Viens, on va ailleurs.

Finalement, on s’arrête à Beer Mosaic. On embarque quelques bières fraiches avant que le magasin ne ferme le rideau.

On poursuit notre ligne droite jusqu’à la fontaine. La Halle aux Grains. Cet endroit où tu appréciais tant d’aller quand il y avait une programmation culturelle. Un fromager-affineur qui a tant régalé mon enfance.

La fontaine rafraîchit l’air ambiant de cette nuit d’été. Posés sur un rebord, ce moment me rappelle des soirées londoniennes, les jambes ballantes le long d’un canal, ou allongé dans l’herbe de Springfield Park.

Une tristesse remonte. La difficulté des relations — ce que je comprendrai plus tard comme étant la notion de sécurité affective. C’est dur d’être chahuté, d’être remis en cause pour des raisons qui m’échappent. C’est dur qu’être soi provoque cet inconfort ou cette peur chez l’autre. C’est quoi “autre chose” quand je ne connais que moi ? J’ai beau écouter des récits de vie, je ne connais que mon feu d’artifice émotionnel — qui est tout sauf superficiel.

La faim nous rattrape. Le mouvement de pendule nous ramène en arrière, sur nos pas. Un burger végétarien et des frites pour éponger la soirée. Les noms évocateurs des sandwichs nous emmènent à causer musique. C’est l’instant punk et filiation des styles musicaux.

C’est paradoxal.

Je suis venu voir mon grand-père, pensant que ça serait peut-être la dernière fois. Et je n’ai pas pu le voir, à cause d’un changement des créneaux de visites.

On aura passé ensemble l’essentiel de mon temps toulousain

Quand on s’est serré dans les bras pour se dire au revoir, j’étais heureux comme tout. C’était une super soirée, une belle amitié. Aucun regret.

Cette belle soirée d’été, j’ai appris — 2 mois plus tard — que ça serait notre dernière soirée. Quand de battre ton cœur s’est arrêté.