☕️ Journal : Errance
Je lis avec plaisir la trace bleue. Épisode 3 de son itinérance.
Chaque incident, mécanique, physique est un appel à la vigilance. Il est l’heure de faire une pause.
Fabienne, présidente. Faisons une pause, pas la guerre (à tout).
Je me demandais comment nommer ce billet. Comment je choisis où je vais marcher. Elle lit Errance de Raymond Depardon. Des souvenirs émus de cette lecture décisive remontent.
C’est comme ça. Errance.
Qu’est-ce que me dit mon corps ? Quelle est cette tension ? Celle de viser un point sur une carte, de suivre une courbure de paysage, de glisser le long des rebords d’une rivière.
Je fais les comptes. 40 kilomètres. Aller. Ça va faire beaucoup. L’occasion de le tenter à vélo. Boutique fermée. Exceptionnellement. L’errance a déjà commencé. Le point de fuite bouge déjà. Marcher sans but ? Quel point de rebond ?
Mon regard accroche encore et encore à ce trait épais qui traverse la Rance. Le pont Chateaubriand (ah, il est du coin ?). La Nationale 176. Quatre ans plus tôt, autre point de vue. De celui-ci, je tournais la tête sur ma gauche. Se gravent alors dans ma mémoire les réflexions de l’eau, cette tranquillité à 110km/h, cette intrication de lumière et de nuages.
Les muscles se mettent en mouvement. Ça rechigne dans la tête. Ça n’a pas envie de souffrir. Je suis toujours revenu. J’ai toujours trouvé une voie alternative. J’ai toujours adapté mon plan. Qu’est-ce qu’il n’entend pas celui-là ? Qu’est-ce que je n’entends pas de lui ?
Un croque dans du pain. Une large tranche de fromage. Ou deux. Ou trois. Quelques kilomètres dans le sillon. Un chapitre de la main gauche de la nuit. Un panneau qui dit qu’ici s’arrêtent les vélos. Le sentier trace à flanc de colline et s’enfonce dans les arbres. Je grimpe, silencieux. Le viaduc enjambe. C’est le moment où mon cœur regarde à travers l’objectif. Pellicule terminée.
Je ne me lasse pas du bruit des feuilles, fraîchement tombées, sèchement écrasées. Ça bruisse comme avant de s’enrouler dans les draps. Ça monte. Ça descend. Une ferme. Un moulin à eau. Un refuge pour oiseaux. Je les aime. Un tractopelle.
Les odeurs changent, aussi. Du parfum des promeneur·ses aux cailloux blancs du chemin de halage. La vase rejoint le cortège. Les mouettes se moquent. Comment elles savent que je ne sais pas où je vais ? Arrive une senteur iodée. Mon cerveau n’associe pas à la forêt. Je m’en souviendrai.
Je le vois là, le château que j’avais distingué du pont. Propriété privée. Privé d’y aller. Droit de passage. Je contourne, dépasse le point que je m’étais fixé. Quelques mûres bien mures apportent une touche sucrée à une carte postale qui se dévoile. L’herbe bien tondue, les nuages bas, un kayak en guise de banc.
C’est l’arrêt. C’est là que je vais me poser. Croiser les bras. Regarder sans compter, savourer sans me lasser.
C’est comme ça que je (ne) choisis (pas) où aller.
Je reviendrai en prenant un chemin le plus différent possible.