Deux années en 2G

Juin 2019, mon smartphone Android s’éteint tout seul… et ne se rallume plus. C’est la troisième fois que je le remplace en 4 ans — toujours des pannes matérielles. Je me demande alors : elle ressemblait à quoi la vie, avant d’avoir un smartphone ?

§Le dilemme : réparer ou remplacer ?

J’ai été surpris de me sentir démuni lorsque mon smartphone est tombé en panne. J’avais beau avoir supprimé mon compte Facebook — et LinkedIn & cie — le smartphone restait un appareil que j’utilisais plusieurs fois par jour.

J’apporte mon Nexus 5X endormi chez un réparateur, pour obtenir un diagnostic.
Verdict : le processeur a fondu. La pièce de remplacement est difficile à obtenir, il faudrait donc remplacer toute la carte-mère. Ce qui revenait alors aux alentours de 120€ — taxes, pièce et main d’œuvre.

Cette tension entre réparer et remplacer m’interroge. Pourquoi est-ce si important d’avoir cet appareil dans ma poche ? Je ne trouve pas d’explication autre que “ça me rassure” et “j’ai l’habitude”. Une habitude que je ne questionnais pas jusqu’à ce moment là.

§Et si mon budget n’est que de 20€ ?

En réfléchissant, je me suis trouvé plusieurs raisons pour revenir à un téléphone à touches :

  • une batterie qui tient plusieurs jours, idéalement une semaine ;
  • pas d’applications, donc pas de distractions ;
  • s’il s’abîme, ou se casse, je m’en fiche ;
  • son prix ne dépasse pas celui d’un petit billet de banque.

Je parcours LeBonCoin, et tombe sur un Nokia 105 pour une poignée d’euros. Remise en mains propres. J’insère ma carte SIM, et me voilà reparti comme en 2000, l’année de mon premier téléphone mobile — un Alcatel One Touch 500 avec l’opérateur Itinéris.

Dans le pire des cas, l’expérimentation ne me coûtera pas grand chose.
Et entre temps, je pourrai quand même passer des coups de fil.

§Premières impressions

C’est étrange de vouloir contacter quelqu’un·e par SMS, ou par téléphone, et de ne pas avoir son contact présent sur le téléphone — tous mes contacts étaient synchronisés. La synchronisation est manuelle :

  • j’enregistre chaque numéro qui m’appelle dans la carte SIM ;
  • je crée d’avance les contacts de mes voisins et voisines ;
  • je pense à créer un contact de tout nouveau numéro dans mon carnet numérique (chez Fastmail)… et des fois j’oublie.

Il n’y a pas de Bluetooth, et j’imagine que le seul moyen de synchroniser des contacts serait d’utiliser un câble filaire, et un logiciel de synchronisation… ou d’en développer un. Ouaip, c’est ça. J’abandonne cette idée.

Les SMS sont ce qui m’a pris le plus de temps à m’habituer. Je redécouvre le T9 comme mode de saisie. C’est comme remonter sur un vélo après avoir passé sa vie à rouler en voiture. C’est inconfortable au début, les distances sont plus courtes mais la sensation de vitalité est là.

Quand un message devient trop long, ou trop compliqué à taper, mon nouveau réflexe est de téléphoner. Ce qui semble être pénalisant me fait gagner en qualité de communication : je passe moins de temps à échanger par oral qu’à tapoter mon message. Ce temps synchrone bénéficie aux clarifications et aux confirmations. Je ne m’y attendais pas, et j’apprécie.

Je réalise au bout de quelques jours que j’ai gagné en apaisement. Je n’ai plus de stimulation à consulter mes emails quand je le souhaite, les messages écrits sont réduits au minimum, et toutes mes activités numériques sont cantonnées à l’ordinateur. Je rêvasse le matin, je rêvasse en attendant quelqu’un, je rêvasse dans le bus.

Parfois, je me surprenais à oublier où j’avais rangé le téléphone, tellement j’en avais un usage réduit.

Je gagne en préparation, en coordination. Le fait de ne pas avoir accès à Internet en permanence m’oblige à repenser comment je me rends à tel ou tel endroit sans carte. Je demande davantage aux gens dans la rue — c’est quelle direction déjà, vous connaissez un coin chouette pour manger ? Ça me réchauffe le cœur, je me dis que le lien humain n’est pas loin du tout. Poser une question. Demander de l’aide.

Des fois je me gaufre, alors je sors mon boîtier 4G et l’ordinateur. Surtout quand la coordination se passait initialement sur un outil numérique, ou que la personne avec qui j’interagis n’a pas en tête que je n’ai pas accès à Internet depuis ma poche. On en rigole.

§Puis vint le smartphone en mode déconnecté

La capacité à prendre des photos me manque énormément. J’aime bien documenter des ateliers que j’organise, immortaliser un bout de trottoir ou un paysage qui me plait.

Au bout de quelques semaines, je commence à mettre en recherche d’une solution complémentaire. Pas alternative mais complémentaire. Quelque chose qui aurait des capacités multimédia, petit, et que je n’aurai pas tout le temps sur moi. Je ne voulais pas d’un appareil de trop bonne qualité, pour rester frugal en espace de stockage.

J’avais toujours eu des smartphones Android jusqu’à présent.
Ma croyance était que les produits Apple faisaient un effort plus important pour éviter de fuiter les données. Je me dis que ça peut être l’occasion de changer.

Je déniche un iPhone SE à moins de 100€ sur LeBonCoin. Je l’utilise sans carte SIM, en mode hors-ligne. La logistique est un peu compliquée au début, car je dois désormais penser à deux appareils. Ça m’incite à l’utiliser le moins possible, à me poser la question des photos.

§Faut choisir : tu repasses en 2G, ou tu utilises un smartphone ?

Ah, on est en flagrant délit de dualisme ! Opposer les deux idées pour n’en regarder aucune des deux.

Le smartphone est un outil qui remplit 3 objectifs :

  1. un appareil photo de poche facile à synchroniser (plusieurs fois par semaine)
  2. un lecteur de podcasts — j’ajoute les épisodes à la demande en présence de Wi-Fi (une à deux fois par mois)
  3. des cartes hors-ligne — avec Organic Maps, comparable à Maps.me, les pisteurs en moins.

J’utilise rarement Signal et Telegram. Le petit écran de l’iPhone n’est pas confortable pour écrire, alors je déporte sur l’usage sur l’ordinateur. Sur l’ordinateur, je me fixe une règle : les applications de messagerie ne sont pas lancées. Je les ouvre de temps en temps. Je découvre donc parfois les messages tardivement.

Le seul usage “involontaire” que j’ai, c’est celui du navigateur web.
J’y ai initialement branché mes emails, et petit à petit c’est devenu l’application de loisirs — dont zoner sur YouTube. C’est le seul usage qui va à l’encontre de ma démarche initiale.

§Deux années plus tard

Des cyclistes de nuit, éclairés par des lanternes

Mon intention initiale était de profiter d’une panne de smartphone pour réduire le bruit et les distractions. Même en ayant deux appareils, je les utilise moins en temps cumulé. Je suis moins tenté, je gaspille moins de temps. Je sais que je fuite moins de données. En ça, je suis content de m’être adapté et d’y trouver mon compte.

En utilisant principalement un téléphone 2G, je sors de la norme. Je me prends dans la face toutes les incitations à installer des applications (c’est obscène). Des fois, je suis obligé de sortir mon téléphone à touches pour arrêter l’insistance de mon interlocuteur à ce que j’installe leur application. Je suis content de pouvoir encore me baser sur les SMS pour valider des opérations bancaires, mais pour combien de temps ?

J’aurais pu réparer mon smartphone initial, réduire les applications au minimum et être en mode avion la plupart du temps. Je ne l’ai pas fait parce que je voulais être joignable mais sur un appareil sans distraction, et rendre irritable l’usage du second, sans effort conscient. En réduire son utilisation par de la pénibilité, tout en me libérant de l’espace mental pour d’autres choses.

J’ai appris à placer un curseur à un endroit plus juste : celui d’être joignable juste comme il faut. Passer de “tout le temps joignable” à “je peux te joindre quand j’ai de la chance” a pu être pénible pour d’autres. Ça m’a aidé à comprendre les moments où on avait besoin de moi, et ça m’a aidé également à verbaliser les moments où je n’ai pas envie d’être joint.

J’ai aussi appris à accepter plus facilement mes erreurs — erreurs de directions, erreurs de timing. Je m’excuse davantage d’être “en retard”. Maintenant, je préviens à l’avance de mon retard, car je le vois plus tôt.

Ce que je gagne, c’est d’être sorti du cycle de consommation. Avec un téléphone aussi ancien, je ne pense même pas à “mieux”, à “plus récent”. Ça vaut pour les deux. Je ne ressens pas le besoin de les changer, parce que mes usages ne les rend pas obsolète.

J’apprécie de très peu recharger les appareils — tous les 5 à 10 jours. D’accepter qu’ils soient déchargées et qu’ils ne soient pas utilisables. Mes usages ont réduit ma dépendance à leur égard, et donc la pression à penser à les charger.

Le point de progression que je me fixe, c’est de réduire l’usage de Firefox sur l’iPhone hors-ligne, en le réservant aux emails… et c’est tout. Peut-être en utilisant une application dédiée d’ailleurs ?

Cette expérimentation m’a appris que c’était possible de revenir à un usage plus frugal. Marie-Cécile a écrit à propos d’une expérience similaire.

Bon courage si vous avez envie de tenter l’aventure !