☕️ Journal : Discussion avec la psychologue du CECOS
Parallèlement au processus de vasectomie, on me propose/demande de cryoconserver mon sperme — des fois que je regrette ce choix irréversible. C’est-à-dire d’abord rencontrer un·e psychologue, puis un·e biologiste pour le prélèvement.
En décembre 2021, j’ai obtenu un premier rendez-vous avec læ psychologue pour le 23 mars 2022. Puis report en avril. Pour finalement glisser au 5 mai 2022 — jour où se déroule tout ce qui suit.
Je ne savais pas à quoi m’attendre en m’asseyant dans cette pièce de l’hôpital mère-enfant de Bron (agglomération de Lyon). J’arrivais en étant sur la défensive, après les reports, l’attente et une vigilance vis-à-vis du corps médical à géométrie variable.
En résumé : l’entretien n’a pas du tout concerné la cryoconservation (c’est-à-dire le parcours proposé par le CECOS), mais quasiment exclusivement ma décision de vasectomie. Et en creux, celle de refuser d’avoir des enfants biologiques.
C’est ce qui m’a gonflé avec ce rendez-vous : tout était tourné sur le caractère exceptionnel de me détourner de la voie parentale, de mes futurs regrets. On ne m’a pas demandé si je voulais des enfants, ce que je pensais d’en avoir, si je me retrouvais dans le modèle familial traditionnel, ou si j’y voyais un intérêt sociétal.
Bien sûr, je vois l’intérêt d’un tel rendez-vous. C’est l’occasion d’avoir une discussion avec un‧e autre adulte non-engagé‧e dans le processus. Un‧e adulte qui apporte de la réflexivité et pas des conseils non-sollicités ou encore des jugements sur des choix de vie.
Une question posée pendant l’entretien m’a permis de réaliser que j’étais passé à côté des ressentis de N, et que je m’étais arrêté à son deuil de maternité évoqué lors du pic collapsologie en 2019. Un non-choix, une “décision” subie, pas vraiment choisie. L’envie était tapie, et on ne s’est plus retrouvé à cet endroit.
Et pourtant, je n’ai pas senti que l’entretien était si “neutre” que ça. S’il n’y avait pas d’auto-conservation de sperme, ce rendez-vous n’existerait pas, et l’opération aurait lieu plus rapidement. Mon poil se hérisse quand la personne demande :
Vous ne trouvez pas ça radical de ne pas avoir d’enfants ?
Ben oui, parlons-en : je trouve ça radical d’en avoir. Est-ce ce qu’on peut aussi le regarder sous cet angle ?
Pelle-mêle, voici des bouts de pensées qui ont émergé pour justifier ce choix :
- vivre à deux, s’accorder sur un rythme de vie au quotidien est quelque chose qu’il m’est difficile à concilier tant j’ai besoin de temps seul, par plaisir, pour soutenir ma créativité et pour ma régulation émotionnelle. Ajouter un troisième individu à cette équation réveille une sensation de danger. Sensation qui m’a coûté cher quand je l’ai ressentie dans le passé ; alors cette fois-ci j’ai fort envie de l’écouter, et de me faire confiance à son sujet ;
- je voulais prendre en charge ma contraception : j’ai essayé l’anneau contraceptif masculin pendant plusieurs semaines. Je n’étais pas très à l’aise avec, je n’étais pas friand de ne pas savoir si j’étais fertile et l’idée qu’en cas d’interruption, il faille attendre à nouveau 3 mois… bof, non merci ; - s’accorder à deux sur élever un enfant me paraît tellement périlleux. J’ai envie d’avoir une place active dans sa vie, certainement avec des choix non-conformistes, donc qui nécessite une confiance profonde entre membres de l’équipe parentale. Je n’ai pas rencontré ce paramètre dans ma vie (et je ne m’étais pas outillé pour, non plus) ;
- je n’ai plus envie que ce sujet se mette en travers d’une relation, qu’il soit attendu comme “normal”.
- je déteste la violence et l’hypocrisie autour des enfants, l’instrumentalisation du “concept enfant”, alors que la famille est le berceau des dominations. J’ai du mal à considérer plonger un être vivant dans une société aussi hostile ;
- à l’aube de mes 40 ans, je me vois mal accompagner un être vivant au moins jusqu’à mes 60 ans ;
- j’aime m’absenter du domicile, pour bivouaquer, rendre visite à des ami‧es — ma famille élargie choisie —, participer à des résidences de travail, des stages, vivre ailleurs quelques semaines. J’ai envie d’être égoïste et m’offrir ce style de vie jusqu’à ma mort ;
- j’ai très envie d’explorer d’autres formes de transmission, de parentalité et de présence aux enfants, dans la durée ou non, avec d’autres parents… ça m’enthousiasme beaucoup plus, tant le rythme et la temporalité me semblent soutenables (en ce qui me concerne) ;
- je me sens beaucoup plus en phase avec “permettre à quelqu’un‧e d’avoir un enfant”, que d’en vouloir un‧e pour moi. Ce qui nous emmène à la question du don de sperme.
Cette dernière idée a cheminé pendant le délai de réflexion. Et ça a aussi l’effet bénéfique de ramener au cadre du rendez-vous, c’est-à-dire la conservation du sperme pour soi, ou pour d’autres. Surprise. J’apprends alors que c’est sa première semaine dans le service, qu’elle ne connait pas trop les procédures si ce n’est que le don de sperme demande des démarches plus poussées (!).
J’apprends ainsi que le sperme est congelé/cryconservé pour une durée d’un an, renouvelable à date anniversaire. Et qu’à date anniversaire, on peut choisir de 1) le conserver un an de plus, 2) en faire un don pour des demandeur‧ses (donc, PMA) et/ou 3) effectuer un don pour la recherche. Ou aucun des trois.
Aparté anachronique : l’écoute de la série les paillettes : journal d’un donneur de sperme m’apprendra qu’il y a moins de 300 hommes qui donnent leur sperme chaque année en France. 300 ! C’est microscopique…
Bref, le décret d’application de la loi de bioéthique étant censé entrer entré en application au 1er septembre 2022 — nous sommes en mai au moment des faits — j’aurais dû refaire de la paperasse en septembre pour la levée de l’anonymat. J’ai envie de souffler dans ce (long) parcours. Alors j’ouvrirai ce sujet à date anniversaire, en mai 2023, au retour de mon itinérance.
Je repartirai de ce rendez-vous un peu en colère, et avec une dissonance. Celle de la famille à deux — un père et une mère — qui se cache dans tous les recoins de ce parcours aux allures moderne et progressiste.
Prochaine étape : rencontrer læ biologiste pour effectuer le prélèvement avant l’opération… et le départ sur les routes fin juillet 2022.